Nous allons suivre la partie supérieure du cours du Rhône, nous arrêtant en des endroits particuliers de ce fleuve.
Le mythe voulait qu’il soit né dans le massif du Gothard, de Dame Helvétie, notre pendant de Marianne en France. En fait, vous savez bien qu’il n’en est rien, et que le Rhône voit le jour à l’extrémité du glacier éponyme, au cœur de la Suisse. Un parcours assez chaotique semé d’embûches, durant lequel il reçoit l’importante Massa, issue du glacier d’Aletsch, le mène à Brigue, début d’une large vallée glaciaire. Il y est à l’aise, sauf au passage de l’Illgraben où ce fantasque torrent l’a repoussé contre l’adret de la vallée. Contemplée des lacets de la Forclaz, la vallée du Rhône est fort éloignée des conventions géomorphologiques : foin de la magnifique auge glaciaire que nous sommes en droit d’attendre. Pendage et nature des roches nous donneront la clef de cette anomalie.
Un peu plus bas, à Evionnaz, le fleuve nous pose un lapin, disparaissant dans la montagne. Mais cet hydroélectricien farceur va heureusement réapparaître à Lavey, après avoir illuminé certaines arcanes de notre «Réduit national». D’aucunes mauvaises langues disent que c’est à cet endroit que Dame Helvétie se soulage, quel mauvais goût !
Le Rhône nous tire presque sa révérence dans la cluse de Saint-Maurice avant de s’élancer gaillardement vers le Léman dans lequel il va se perdre, lui et toute la charge d’alluvions qui l’habille de kaki. Après le gris-vert, nous restons dans les couleurs des armées…
Le lac, va-t-il survivre à tout cet apport ?
Dans tous les cas, le Rhône ressort blanchi à Genève, il est vrai qu’il n’avait rien à se reprocher.
Trois petits barrages, avec réception d’un gros bagage de sédiments en route, et le voilà quittant le bassin romand sous le sourcilleux Fort de l’Ecluse où, soit dit en passant, il n’y a eu d’écluse que dans l’esprit d’un géographe ayant trop… éclusé de dives bouteilles !
Peu au-delà, vers Léaz, «notre» Rhône, même s’il a déjà passé en mains françaises, fait des caprices : au lieu de descendre droit vers le sud à l’instar des vacanciers, voilà qu’il tire vers l’ouest, et même au nord. Il a été bien plus raisonnable antérieurement, mais des moraines l’ont contrarié. Comme quoi…
Et puis, une nouvelle cachotterie, même si ce n’en est plus une depuis 1945 : la Perte du Rhône. En fait, une fausse sortie, parce qu’il n’y a jamais eu de perte, si ce n’est une disparition locale pour des yeux peu avertis. Et voilà le barrage de Génissiat, où le fleuve se met «Au service de la Nation», suivi de celui de Seyssel. Et enfin, après un parcours paresseux au cœur de la Chautagne, le canal de Savières et le lac du Bourget, réduit, le pauvre, au rôle de simple variable d’ajustement. Il est heureux que l’abbaye de Hautecombes et sa lignée d’altesses royales de la maison de Savoie, ainsi que sa fontaine intermittente, aient redoré quelque peu son blason.
Jean Sesiano, 17 décembre 2025