Les murales de Tor Marancia à Rome, par Clara MARGANI

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Traduit de l’italien par Marina GASPERINI

L’adresse est via Annio Felice à l’angle de la Via di Santa Petronilla à Tor Marancia.
Il faut en connaître l’adresse exacte, car cette sorte de musée en plein air est situé en-dehors des circuits touristiques de la capitale. C’est un endroit bien particulier, inconnu de la plupart des gens et qui a besoin de la publicité de ceux qui le connaissent pour être découvert.
Il est situé dans le quartier de Tor Marancia, dont le nom dérive d’une tour médiévale située près de la Via Ardeatina. Les premières maisons furent construites en 1933, pendant le fascisme, par le gouvernement de Rome sur une zone marécageuse, en pleine campagne. C’était une sorte de bidonville, un ensemble de maisons basses d’une pièce, où vivaient des familles nombreuses, qui avaient été déplacées (ou plutôt déportées) du centre historique de Rome, lorsque leurs maisons avaient été démolies par le régime fasciste pour construire la Via dei Fori Imperiali.
En raison des inondations continues et de la densité de population, on surnomma le quartier Shanghai, la grande ville chinoise, car situé dans une plaine très riche en cours d’eau et souvent sujette aux inondations. Suite à la loi De Gasperi pour l’assainissement des faubourgs, la zone fut rasée et à sa place furent construits les bâtiments populaires actuels. Environ vingt mille personnes y vivent de nos jours et deux tiers des maisons de la région sont la propriété de l’Ater, l’office régional du logement social. Les familles qui louent ces maisons ne peuvent pas avoir un revenu total supérieur à 20’344,92 euros par an.
Un changement radical pour le quartier, mais aussi pour la scène artistique romaine, a marqué l’année 2015. Le nom du projet, qui a déterminé ce changement, est BigCityLife. Il a été conçu par l’association culturelle 999 Contemporary, financé par la ville de Rome et la Fondation Rome. Il s’agit certainement de la plus grande opération de réaménagement urbain, tant du point de vue social que culturel, jamais réalisée en Italie par le biais d’une intervention artistique, qui a de ce fait transformé le faubourg en un quartier d’art contemporain.
Le musée en plein air se compose de 22 magnifiques peintures murales réalisées par des artistes italiens et étrangers sur autant de façades des maisons populaires du Lotto Uno (parcelle), toutes de la même taille et d’une hauteur de 14 mètres. On y trouve entre autres, les œuvres des Italiens Diamond, M. Kleva, Moneyless, Jerico, de l’Argentin Jaz, du Portugais Pantonio, du Français Seth, de l’Américain Gaia.
Au début, les habitants du quartier étaient méfiants et agacés par les artistes qui montaient sur les ascenseurs hydrauliques. Mais peu à peu, ils se sont habitués à leur présence et les ont soutenus, leur offrant même un déjeuner ou un dîner.
En général, ils ont été heureux du soudain intérêt pour leur quartier, mais restent néanmoins encore aujourd’hui perplexes, car les peintures murales n’ont pas résolu les problèmes structurels des bâtiments, notamment les corniches qui tombent en morceaux et le manque d’entretien des espaces communs et des jardins. D’autre part, la relation avec le nombre croissant de visiteurs n’est pas facile, entre ceux qui flânent dans le quartier pour leur plaisir et ceux qui y vivent en permanence et ont droit à leur vie privée.

La création d’œuvres commissionnées par les associations et les institutions dans les quartiers les plus défavorisés de la ville peut effectivement représenter une forme alternative au tourisme traditionnel des musées, églises et œuvres d’art anciennes, par l’attrait que représentent ces peintures, et revitaliser ainsi les zones les plus défavorisées de la ville, alors que le but devrait être principalement la revalorisation immobilière des quartiers.
D’autre part, le street art, qui est né comme une forme d’art spontané, généralement gratuit et hélas souvent considéré comme du vandalisme, est en train de se transformer en muralisme, c’est-à-dire en réalisation de grandes fresques murales sur commande, dans des lieux qui n’ont pas été choisis par l’artiste, mais qui lui ont été désignés. Il faut ainsi tenir compte de qui vit et vivra devant ou derrière ces murs, quand aussi bien l’artiste que les visiteurs de la journée auront quitté les lieux. Compte tenu de tout cela, la beauté des peintures murales du Lotto Uno est vraiment extraordinaire et suscite l’étonnement et l’admiration de ceux qui le visitent. 

Tout en invitant les lecteurs à parcourir ce musée en plein air dans son intégralité, nous avons retenu ici uniquement certaines œuvres qui nous paraissent les plus significatives. 

La première peinture murale est située le long du mur qui entoure le Lotto, elle n’est pas monumentale, car elle occupe une partie du mur où se trouvait autrefois un graffiti « Bienvenue à Shanghai ». C’est ainsi que l’artiste Caratoes, née en Belgique, mais vivant et travaillant à Hong Kong, a peint le masque traditionnel de l’opéra chinois, tenant une louve dans sa main pour symboliser la rencontre idéale entre l’Occident et l’Orient.
                                                                  

En suivant le mur, nous arrivons au premier des murales de 14 mètres de haut, œuvre de l’artiste français Seth, intitulée « L’enfant du Rédempteur » et inspirée d’une histoire qui s’est déroulée dans le quartier. Le petit garçon qui dessinait des escaliers colorés pour monter et regarder le ciel bleu au-delà du gris de l’immeuble s’appelait Luca. Il vivait dans cet immeuble et est mort à cause d’un accident pendant un match. 

En rentrant dans l’allée principale du quartier, sur la gauche, nous pouvons admirer la peinture murale, intitulée « Notre-Dame de Shanghai », de M. Kleva, qui a voulu créer l’image rassurante et accueillante de l’étreinte entre une femme et un enfant. La Madone, représentant Rome, embrasse son fils (le village), qui lui demande attention et tendresse, exactement ce que le quartier demande à la ville.

Plus loin, l’artiste Diamond, dans un style art nouveau, a lui aussi voulu se souvenir de Shanghai. Nous voyons une femme endormie avec des fleurs de laurier-rose dans les cheveux, tenant un diamant dans sa main, alors qu’un dragon surgit de l’encadrement, en hommage au saugrenu surnom chinois de l’ancien quartier. L’artiste a voulu représenter ainsi Rome, comme une belle femme endormie et immobile, une ville qui ne sait pas se réveiller de sa torpeur. 

Et sur la droite, nous pouvons admirer le travail de l’Américaine Gaia, inspiré par le style de De Chirico. Le regard est immédiatement attiré par l’orange du mandarin-ballon, qui par décision des résidents est considérée comme une orange, en référence au nom du quartier.

Le bâtiment d’en face a été surnommé « Blossom House », M. Jerico s’étant inspiré de La Création de Michel-Ange pour son mural illustrant la relation entre l’homme et la nature: ils tentent de se toucher mais n’y parviennent pas. Les fleurs délicates qui encadrent les mains ressemblent à celles du parterre du jardin en contrebas.

Le style de la fresque de M. Pantonio est différent. Des animaux marins de diverses tailles semblent flotter à la surface de l’eau, mais ils sont aussi agités par le Ponentino, la fameuse brise qui rafraîchit les étés romains et qui donne le titre à l’œuvre. Les créatures marines semblent vouloir sortir des limites imposées par la façade de l’immeuble et devenir le symbole d’une existence humaine dépassée par le hasard et limitée par les frontières et les règles.

En quittant le Lotto, il faut se retourner, car derrière nous se trouve la fresque de Guido Van Helten, intitulée « Je serai ». Il s’agit de la transposition d’une photographie d’archive qui représente une jeune fille « déportée » dans ce quartier, parce que, pendant la période fasciste, elle avait été expulsée de sa maison du quartier de Borgo, près de San Pietro, pour permettre l’ouverture de la Via della Conciliazione. Le regard de la jeune fille est douloureux, mais résolu, témoignant les abus du pouvoir dans le passé au nom d’un renouveau architectural, qui ne prenait pas en compte la vie et les sentiments des gens. Elle semble faire bonne garde et défendre cette merveilleuse requalification artistique de son ancien quartier.

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