Magellan, Zweig, Paulsen, la Russie, et l’air du temps, par Roland MEIGE

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L’enchaînement des lectures, dans la lourde actualité, nous amène à des associations d’idées, parfois tirées par les cheveux; je me lance tout de même.

Magellan. Par Stefan Zweig. Éditions Paulsen, 2019

Couverture du livre, Editions Paulsen, Paris 2019
Stefan Zweig, p. 322 du livre: «Stefan Zweig, photographie de 1931 Archives Getty / Images»

Il est curieux l’effet que peut produire une nouvelle édition sur un texte déjà lu, repris intégralement. Ce Magellan de Zweig, je l’avais lu dans une édition de 2020, une « nouvelle traduction de Françoise Wuilmart », ladite traductrice réglant son compte, dans sa préface, au premier traducteur en français de Zweig, Alzir Hella : (…) je n’ai retrouvé ni le style ni le souffle épique de Zweig dans votre texte, mais plutôt la facture d’un journal de bord, d’une synthèse, et quand vous vous permettez malgré tout un « envol » …il sonne faux. (…).

Hella (1881-1953), n’aura pas connu la diatribe de Wullmart (1942-), et tant mieux pour lui. Je tente de faire le point en consultant les deux volumes de Zweig dans La Pléiade, mais ce récit n’y figure pas. Peut-être ce texte n’a-t-il pas été jugé suffisamment représentatif de l’œuvre, magistrale, de l’auteur autrichien, qui a si bien su nous transmettre l’atmosphère de Mitteleuropa.

Cette édition fait partie de ces albums illustrés – j’ai cité il y a peu un Alexandra David-Neel – de la collection Textes&Images, des Éditions Paulsen, dévolue aux explorations, aux découvertes, aux personnages hors normes, et à la montagne. Les Éditions Paulsen ont, aussi, intégré les Éditions Guérin, de Chamonix, bien connues des milieux de l’alpinisme. Cette collection porte bien son nom, se distinguant par sa très riche iconographie, à chaque fois un beau travail de recherche et d’édition de documents souvent inédits. Ce volume consacré à Magellan est bien dans la ligne éditoriale de la collection, riche de documents intéressants et très soigneusement édités. Dans ce cadre visuel, la lecture de Zweig prend une autre dimension.

C’est bien cette traduction originale que reprend l’édition Paulsen, je n’ai pas l’intention de faire une lecture comparée des deux traductions, et si la version Hella a « plutôt la facture d’un journal de bord », cela me convient parfaitement. L’épopée du voyage de Magellan est suffisamment dense en événements, en dramaturgie, qu’il n’y a pas besoin d’en rajouter par des effets littéraires gratuits. Dans sa préface, Zweig explique la genèse de ce récit, l’idée lui venant lors d’un retour en Europe dans le grand confort d’un navire de ligne, et alors qu’il commence à s’ennuyer à bord. L’odyssée de Magellan va l’interpeller, tout autant que les personnages qui en sont les acteurs. Après de minutieuses recherches, les documents sont rares à l’époque, Zweig en rédigea un poignant récit de synthèses, entre découvertes géographiques, enjeux géopolitiques et subtiles analyses psychologiques, domaine dans lequel Zweig, si Viennois, nageait à son aise.

Paulsen, Frederik Paulsen, le nom vous est connu, ce grand mécène, établi en Suisse, devenu personnalité controversée, compte tenu de ses liens avec l’autocrate russe Poutine. En autoédition si l’on peut dire, un ouvrage est consacré aux expéditions polaires qu’il a initiées, financées, et, aussi, auxquelles il a participé.

Ci-dessus: Magellan portrait, p.83 du livre: «Portrait de Ferdinand Magellan par Antonio Melendez, XVIe siècle, Musée de la Marine, Lisbonne»

Voyages au bout du froid. Les 8 pôles de Frederik Paulsen. Préface de Michel Rocard. Charlie Buffet & Thierry Meyer. Éditions Paulsen, Paris, 2014

Couverture du livre, Editions Paulsen, Paris 2014

En première réaction, on pourrait traiter l’ouvrage de lourde hagiographie, puisque centré sur la personne de Frederik Paulsen, ses relations, ses amis, ses affidés. Mais au fil de la lecture, on ne peut que reconnaître le bel engagement de Paulsen pour l’exploration des pôles, sa capacité à créer des équipes compétentes, dans tous les domaines, du scientifique au logistique. Il a évidemment des moyens énormes, mais il les met à disposition de projets importants, sur le thème de la connaissance des pôles. Au gré de la lecture, la personnalité de Paulsen se révèle, de sa prime jeunesse entre Suède et Danemark, à l’héritage d’un empire industriel. Sa capacité à réunir des comparses d’origines variées, sa pugnacité à atteindre ses objectifs, font de lui un personnage hors du commun, un peu énigmatique, et finalement attachant. L’ouvrage est très largement illustré, entre autres de superbes dessins de Victor Gurrey, et aussi de schémas nous expliquant « les 8 pôles », à savoir les pôles géographique, magnétique, géomagnétique et d’inaccessibilité.

Frederik Paulsen nous amène, évidemment, à la Russie, puisque ses liens étroits avec le pouvoir de Moscou ont suscité des controverses dans notre bonne Suisse romande, où diverses personnalités du landerneau politique ont été ses invités pour des voyages en Russie. En reconnaissance de ses activités favorables à la Russie, Paulsen a été décoré par Poutine, il est devenu Consul honoraire de Russie à Lausanne. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine, guerre fratricide, le consul a rendu ses lettres de créances, l’officine lausannoise est fermée.

Frederik Paulsen et Michel Rocard au Pôle Sud, page 225 du livre, illustration de Victor Gurrey

Dans l’air du temps, il y a aussi le déboulonnage des statues, et la valses des plaques de rues en Ville de Genève. Dernière péripétie, l’un de ces plaques récemment posées, est sujette à contestation. Des chercheurs.euses (en langue inclusive, donc) ont trouvé des relents de racisme dans des propos de Marguerite Lobsiger-Dellenbach, ethnologue. Par deux fois présidente de la Société de Géographie de Genève, directrice du Musée d’ethnographie après un remarquable parcours largement autodidacte, Marguerite Lobsiger-Dellenbach (1905-1993), était évidemment d’une autre époque, celles d’autres points de vue. Je l’ai bien connue, elle avait – et encore plus son époux, Georges Lobsiger, géographe – son franc parler, ne s’embarrassait pas de « politiquement correct », l’expression n’existait d’ailleurs pas encore. Et puis l’ethnographie, n’est-ce pas identifier des caractéristiques humaines, donc reconnaitre des différences ? Mais cela, cette approche, échappe à ces néo-chercheurs.euses en mal de reconnaissance, barbotant dans le bouillon universaliste du moment.

Roland Meige, avril 2022

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