Le Canal, roman de Bernard Mandagaran, présenté par Philippe Martin

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Mandagaran, Bernard; Le Canal, roman, Paris, Éditions Le Sémaphore, 2023, 428 pages, 25 €

4e de couverture
Philippe, brillant polytechnicien, est à 26 ans directeur général de la Compagnie Universelle du Canal de Panama. Son frère Maurice dirige le Matin qui tirera à plus d’un million d’exemplaires. Les deux frères ont trouvé un terrain d’expression de leur complicité et de leur rivalité. Ils ont épousé les deux sœurs, jeunes femmes modernes de cette fin de siècle. Après l’échec des dernières souscriptions et la faillite, viennent les procès et la commission d’enquête parlementaire : le scandale ébranle la Troisième République. Cette combinaison de la finance, de la presse et de la politique éveille chez le lecteur d’aujourd’hui un étrange sentiment de modernité. Le temps passe et l’Affaire Dreyfus déchaine d’autres passions. Fera-t’elle oublier Panama ? Après un moment d’abattement, Philippe sillonne l’Europe et l’Amérique à la recherche de nouveaux soutiens. Alors qu’on le dit fou au quai d’Orsay, il obtient une entrevue avec le Président Roosevelt et retourne dans l’isthme pour organiser la révolution : Panama fait sécession de la Colombie. Le traité entre le nouvel état et les Etats-Unis portera son nom.

Cette 4e de couverture résume bien le livre; elle résume surtout l’histoire vraie du Canal de Panama. Encore fallait-il l’écrire avec brio pour conduire le lecteur d’un épisode à l’autre de cette aventure politico-financière. Et ce pari est tenu par l’auteur grâce des astuces littéraires variées et une écriture admirable et incroyablement fluide. En alternant les points de vue, les principaux protagonistes nous parlent directement ou se répondent, nous plongeant toujours plus avant dans ce récit complexe. Récit non seulement documenté, mais agrémenté de toutes sortes de références culturelles se rapportant à la vie parisienne de l’époque. Avec cela, beaucoup de réflexions et une plongée assez intime dans la vie et la pensée des protagonistes, cette double fratrie (les épouses étaient soeurs) très unie. La voix est largement donnée aux femmes, non pour des bavardages, mais en les impliquant bien dans les affaires du siècle et des premiers mouvements féministes.

Et ce n’est pas la partie technique qui va occuper le devant de la scène. Les options sont évoquées, canal concurrent au Nicaragua, canal à niveau ou canal à écluses, percement du massif situé à mi-parcours, mais aussi organisation du chantier, dragages, minages ainsi que les conditions réservées aux ouvriers et surtout, surtout, la question de la malaria et de la fièvre jaune qui déciment les chantiers.

Ce qui va vraiment occuper Philippe Bunau-Varilla (1859-1940), car c’est un « roman-vrai », ce sont les affaires financières puis politiques. Et là, l’auteur nous emmène dans un tourbillon de rencontres officielles ou occultes, principalement à Paris, mais aussi à Moscou, Bogota (Panama appartenait à la Colombie) et Washington. Et c’est bien grâce à lui que ce canal commencé par la France au XIXe siècle sera finalisé avec des fonds américains au XXe siècle, juste au moment du déclenchement de la 1ère Guerre Mondiale. « À l’entaille de l’oeuvre de Dieu pratiquée dans l’isthme, nous dit l’auteur, se superposait la faille qui allait fendre l’Europe jusques à ses tréfonds ». (p. 361.)

L’ouvrage se termine sur un délicieux poème de Cendrars « Le Canal de Panama est intimement lié à mon enfance… » (vers 7.)

Ph. Martin

L’auteur

Bernard Mandagaran est ingénieur civil des Ponts et Chaussées. Il est maire adjoint d’une ville moyenne des Yvelines et participe activement à plusieurs ateliers d’écriture.

Légendes des photos

Sur la carte Esso de 1964: En haut à gauche, sur l’Atlantique, la ville de Colón et l’écluse de Gatún. À mi-parcours, au sud du lac de Gatún et de Gamboa, le Gaillard Cut, nom donné par les Américains à la tranchée perçant le massif de La Culebra. Et, en bas à droite, les écluses Pedro Miguel et Miraflores, ainsi que les villes de Balboa et de Panamá sur le Pacifique.

Le schéma provient d’un ancien prospectus.

Les trois photos en couleurs (1968, Jean Schwitter) montrent l’écluse de Gatún