Les murs de pierres sèches dans le paysage jurassien, par Christiane YVELIN (texte et photos)

Date: 14.11.2022 à 19:00

Cet article illustré fait suite à la conférence de Christiane Yvelin du 14 novembre 2022 à la Société de Géographie de Genève. 
Nous remercions ici vivement l’auteure d’avoir bien voulu nous préparer ce texte qui valorise sa première présentation en nous permettant de nous y plonger à nouveau.

Pratique d’une époque lointaine, ce procédé si singulier qu’est la construction des murs en pierre sèche s’est maintenu jusqu’à nos jours grâce à la volonté et la ténacité de passionnés, des fonds, fondations et autres associations ainsi que des maçons désirant conserver cet héritage. 

L’utilisation de pierres sèches (sans aucun liant entre elles) date d’une époque très lointaine. On parle de 6000 à 7000 ans pour le Valais. 

On les trouve dès le XVIe siècle dans l’Arc jurassien. La pierre remplace alors le bois dont l’usage intensif provoque une déforestation importante faisant craindre des conséquences non dépourvues de dangers. Les autorités interviennent en édictant des actes d’interdiction. Il convient de se tourner vers les pierres qui se trouvent là où on en a besoin. C’est-à-dire des pierres de la région: ici le calcaire blanc, là la dalle nacrée. 

La construction en pierre sèche est un procédé singulier encore visible dans de nombreux pays, européens notamment. En Suisse, ce type de construction s’est heureusement maintenu jusqu’à nos jours, grâce en bonne partie à la volonté et à la ténacité de passionnés, de fonds, fondations et autres associations ainsi que de maçons désirant conserver cet héritage. Depuis 2018, la construction en pierre sèche est inscrite par l’Unesco sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en tant que savoir-faire ancestral.

La construction d’un mur de pierres sèches répond à des règles plus ou moins strictes tant par sa forme que par ses dimensions et son contenu. 

Mur à double parement rempli 
Parc naturel régional Jura vaudois, © C. Kuppenheim

Les mesures mentionnées ci-dessus datent du XVIIIe siècle: 2 pieds, 3 pieds, 1 pied ! La mesure d’un pied est alors d’environ 33 centimètres.

Aujourd’hui, en présence de bétail, on peut voir un fil de fer barbelé au-dessus du faîte des murs.

L’Arc jurassien offre une grande richesse et une belle variété de murs grâce à de nombreux types de construction. Nous y trouvons des murs de séparation, des murs de bordure,

de soutènement,  des murs d’enclos

et même des fortifications.

Sermuz, VD

Ces constructions si particulières sont l’expression d’un paysage vernaculaire authentique et harmonieux. C’est en pierre sèche également que sont faits les ouvertures, chicanes,

escaliers et marches qui permettent de passer outre les murs !

La population a su édifier également, en fonction de ses propres besoins, des puits, des citernes,

des bassins de rétention notamment.

Les Sairins, JU

Mentionnons par ailleurs que si les pierres sont «sèches», les murs eux-mêmes sont bien vivants. Souvent recouverts de mousses,

de lichens, de lierre,  

ils sont un refuge pour les insectes, les oiseaux et les petits mammifères. Rafraîchissant en été, protégeant en hiver, ils permettent de donner la vie et de la conserver.

La disparition des murs en pierre sèche est due à la fois à leur propre évolution et au changement sociétal. Une fois construit, le mur se recouvre, se remplit. Le lierre, par exemple, n’est pas son meilleur ami. Des plantes puis des arbustes

feront leur apparition au pied du mur et prendront place en plein milieu. Quelques-uns deviendront des arbres.

St-Cergue, VD

Pour qu’un mur vive longtemps, il a besoin d’entretien. L’exode de la population rurale, le remaniement parcellaire, la perte d’une main-d’œuvre bon marché, la mécanisation, la perte du savoir-faire ont fait disparaître une grande partie des murs de pierres sèches, certains définitivement massacrés par le passage des gyrobroyeurs.

Mais heureusement, il nous reste des milliers de kilomètres de murs rien qu’en Romandie (1). 

La reconstruction et l’entretien coûtent cher (CHF 500 – à CHF 1000.- / mètre), nécessitent une main-d’œuvre qualifiée, du temps (1 mètre à 3 mètres / jour), du matériel adéquat et bien sûr de la matière première (1 tonne de pierres / mètre de mur). 

Aujourd’hui, un certain esprit écologique prédomine. Actuellement, la Confédération contribue à la protection du paysage et de la biodiversité, certains cantons débloquent des fonds (2), prennent des dispositions de protection (3). Des communes attribuent des subsides. Les institutions concernées proposent l’été des camps de construction ou de restauration de murs qui voient la participation de muretiers, civilistes, requérants d’asile, étudiants. 

Le maintien de ce patrimoine inestimable continue.

Restons donc optimistes même si l’argent manque ainsi que les dispositions légales concernant la protection spécifique des murs de pierres sèches eux-mêmes. 

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1) Parc Jura vaudois: env. 700 km (dont 250 km dans les pâturages) 

Valais: 3000 km (soutien du vignoble valaisan) 

(2) Valais: CHF 200 mio 

(3) Neuchâtel: Arrêté cantonal de 2006 (interdiction de détruire totalement ou partiellement un mur de pierres sèches). 

Texte faisant suite à la conférence donnée le 14 novembre 2022, dans le cadre de la Société de Géographie de Genève, après la parution du livre de photographies de l’auteure Patrimoine en héritage, Murs de pierres sèches dans le paysage jurassien, Till Schaap Edition, Berne, 2021, Textes F/D, 196 p., 102 photos (www.tillschaapedition.ch)

Des photographies de l’ouvrage ont été exposées à Jurassica, Jardin botanique, Porrentruy (JU), du 5 mars 2022 au 26 février 2023. Elles sont à voir au Centre Pro Natura, Champ-Pittet (VD), du 18 mars au 29 octobre 2023.

L’auteure a exposé des photographies sur les murs de pierres sèches aux Etablissements de Bellechasse (FR), en 2007, et au Musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds (NE), en 2011.

Annexes

S’engagent aujourd’hui 

Fonds suisse pour le paysage (FSP)

Fondation Action en faveur de l’environnement (FAE)

Association pour la Sauvegarde des murs de pierres sèches (ASMPS)

Fédération suisse des maçons de pierre sèche (FSMPS) 

Pro natura

Bases légales sur la protection indirecte des murs de pierres sèches

Niveau international

Convention de l’Unesco (patrimoine culturel et naturel, 1972)

Convention de Berne (espèces menacées, biotopes, 1979)

Convention de Grenade (œuvres combinées de l’homme et de la nature, 1985)

Convention sur la biodiversité (diversité biologique, 1992)

Convention de Florence (protection du paysage européen, 2000) 

Niveau fédéral

Constitution suisse

Loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage, (LPN)

(+ 4 ordonnances : OPN, OIFP (inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels), OISOS (inventaires des sites construits à protéger en Suisse), OIVS (protection des voies de communication historiques de la Suisse)

Loi fédérale du 22 juin 1977 sur l’aménagement du territoire (LAT)

(+ Ordonnance)

Loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l’environnement (LPE)

(+ Ordonnance relative à l’étude d’impact sur l’environnement)

Loi sur l’agriculture du 29 avril 1998 sur l’agriculture (LAgr) : notion de développement durable ; prestations écologiques (+ Ordonnance sur les paiements directs OPD) 

Législations cantonales et inventaires cantonaux

Règlements communaux, inventaires locaux  

A lire (historique, explications techniques, photos, etc.)

Murs secs pleins de vie, Edition de la Girafe, MHN La Chaux-de-Fonds, 2009

Murs de pierres, murs de vignes, Musée valaisan de la vigne et du vin, Infolio, 2012

Tufnell e al. , Dry stone walls (E/D), Basics, Construction, Significance, Edit. FAE / Scheidegger & Spiess, 2019 

Christiane Yvelin, Patrimoine en héritage, Murs de pierres sèches dans le paysage jurassien, Till Schaap Edition, Berne, 2021,Textes F/D, 196 p., 102 photos

Présentation de la conférence du 14.11.2022

L’arc jurassien nous offre une grande richesse et une belle variété de ces murs grâce à ses nombreux types de construction: murs de séparation, murs de bordure, murs de soutènement, murs d’enclos, fortifications notamment. 

Durant la conférence, il sera donc question des origines, du développement et des fonctions de ces murs construits sans aucun liant qui concernent également des constructions particulières que la population a su édifier en fonction de ses besoins : puits, citernes, bassins de rétention, etc.

Ces murs si particuliers sont l’expression d’un paysage vernaculaire authentique et harmonieux. De nombreuses photos (nb) souligneront cet aspect.

Fin 2018, ce savoir-faire ancestral de la construction en pierre sèche a été inscrit par l’UNESCO sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Chasseral, NE, 2020

Christiane Yvelin est juriste et photographe. Ancienne enseignante de droit au Collège de Genève, elle a enseigné le droit de l’environnement à la Haute École du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA). Ajoulote, elle a photographié les murs de pierres sèches de la chaîne du Jura (de la Dôle à St-Brais) pendant plus de quinze ans. 

Elle a exposé sur le sujet au Musée d’histoire naturelle de la Chaux-de-Fonds, en 2011, ainsi qu’aux Établissements de Bellechasse, dans le canton de Fribourg, en 2007. 

La Dôle, 2020
Entre La Givrine et Le Carroz
Entre Les Bois et La Ferrière

Voyez également la présentation de l’ouvrage de Madame Yvelin sur ce site en 2021
https://sgeo-ge.ch/ouvrages-presentes-en-2021/