OUVRAGES PRÉSENTÉS EN 2020

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Nous voilà avec une nouvelle narratrice dans la veine des grands, comme l’Américain Paul Theroux, l’Anglais Colin Thubron, l’Espagnol Javier Reverte, l’Italien Paolo Rumiz, Sylvain Tesson, Cédric Gras et les frères Rolin pour la francophonie ainsi que Lieve Joris pour la Belgique néerlandophone, tous ces auteurs dont les pages alternent avec une facilité déconcertante entre les dialogues sur les petites histoires éclairantes de gens rencontrés en route et la Grande Histoire pour mettre un cadre au récit et nous rappeler ce que nous ne devrions pas avoir oublié.

Erika Fatland suit donc par l’extérieur la frontière de l’ex-URSS et nous montre ce qu’elle a sous les yeux, ainsi que l’influence du grand voisin dans les pays qu’elle traverse. Son séjour en Corée du Nord, bien que réalisé en simple touriste est très éclairant. Mais là où elle excelle, c’est à nous expliquer les 15, si je compte bien, pays, régions sécessionnistes ou non, enclaves, exclaves et autres territoires du Caucase, carte très claire à l’appui, et surtout à nous rendre compréhensible la position de chacun. Même chose encore pour la région qui va de l’Ukraine à la Finlande où le va-et-vient des invasions, annexions et déplacements de frontières se sont succédés depuis des siècles.

Ph. Martin

Léonie d’Aunet : Voyage d’une femme au Spitzberg

Edition originale : Hachette, Paris 1854

Edition récente : Actes Sud, Paris 1995

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Être une femme en 1839 ne prédisposait pas à parcourir, durant une année, une bonne partie de l’Europe du nord, de Paris jusqu’au Spitzberg et retour. Pourtant, c’est ce qu’allait réaliser une jeune parisienne de 19 ans, Léonie d’Aunet, qui parvint, avec une certaine ruse, à être acceptée sur La Recherche, un navire français d’investigation scientifique, dont l’un des objectifs était de découvrir le passage du Nord-Est et devenir ainsi la première femme à atteindre le Spitzberg et en particulier la baie de la Madeleine (79e degré Nord).

De retour de ce périple de près d’une année et après bien des mésaventures en particulier conjugales qui l’amenèrent à passer du temps en prison et dans un couvent, Léonie va relater son voyage fantastique en 1854 sous la forme de neuf lettres destinées à son frère, chacune décrivant une partie du périple qui se déroulera avec les moyens de transport de l’époque, mais principalement à pied et en bateau et très souvent dans des conditions, en particulier climatiques, très difficiles.

Léonie d’Aunet se révèle non seulement une très bonne écrivaine ayant précocement compris ce que pouvait apporter le récit de voyage sous un éclairage féminin pour ne pas dire féministe, mais également une observatrice attentive et curieuse de tout ce qui l’entoure pendant ce périple extraordinaire pour l’époque. Son approche basée essentiellement sur l’observation que n’aurait pas reniée un Elisée Reclus, l’amène à regarder ce « nouveau monde » avec des yeux de géographe bien entendu, mais également d’ethnologue, de biologiste, de sociologue voire parfois de critique d’art… et avec quelle perspicacité, quel talent et quel humour ! A cela s’ajoute une absence de jugement même si, parfois, elle compare les situations humaines qu’elle rencontre à la civilisation qu’elle a quittée, donc sa France d’origine.

Et pour terminer cet encouragement à se (re)plonger dans ce récit magnifique, deux citations dont la première pose un regard original sur la question des races si présente au milieu du 19e siècle :

« Les Finlandais – ou Finnois – forment une race à part des Lapons, des Russes et des Suédois. (…) Quelques savants veulent voir dans les Finnois une race orientale venue des plateaux ouraliens, et en font les descendants des Hongrois ; d’autres affirment reconnaître en eux les caractères des races aborigènes de tout le reste de l’Europe. J’ignore si ces conjectures ont rencontré la vérité, et j’ajoute même que les questions de filiation de races, si elles n’éclairent pas d’importants points d’histoire, me semblent des recherches d’une grave puérilité ; car aucune n’aboutit jamais à rien de positif. »

 et la seconde qui résulte de la « plongée » de Léonie d’Aunet dans une mine de cuivre de Fahlun :

« En jetant un dernier regard à ces gouffres malsains et horribles des mines, je me demandais avec stupeur comment il était possible qu’il y eût des mineurs. Oui, il y en a, et des milliers ; des milliers d’existences s’écoulent dans ces enfers humides. Si on nous disait : en Chine, des multitudes d’hommes passent leur vie entière dans les profondeurs de la terre, au milieu d’une obscurité complète et des vapeurs suffocantes ; ils sont soumis à un travail dangereux et fatigant qui abrègent leur existence ; ils le savent ! Voudrions-nous croire un pareil récit ? Et cela se fait sous nos yeux, en pleine Europe, en France même, et des populations entières languissent, souffrent et meurent sous un travail accablant et, hélas, nécessaire, jusqu’à ce que les machines, ces bienfaitrices de l’ouvrier, aient remplacé les mineurs. Oh, martyrs de la pauvreté, que de noms à ajouter à vos annales ! °

Rémy Villemin

ARTICLE DE 1958 SUR LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE, PUBLIÉ DANS LE JOURNAL DE GENÈVE

Alpinistes de Staline, de Cédric GRAS

Si Cédric Gras s’est décidé à raconter la vie des frères Abalakov, deux alpinistes russes des plus héroïques de leur génération, c’est après avoir découvert qu’ils avaient été victimes des purges staliniennes. Comment Staline a-t-il pu faire arrêter ces figures glorieuses, chargées de porter le marxisme au plus haut des sommets ?
Orphelins sibériens, ils pratiquent l’escalade avant de devenir des alpinistes aguerris. Entre Caucase et Asie centrale, ils multiplient les expéditions jusqu’à gravir, dans les années 1930, les vertigineux pic Staline et pic Lénine, au nom du pouvoir. Dans ce monde où l’alpinisme était dicté par l’idéologie d’un monde nouveau, la conquête de territoires et la guerre, Vitali Abalakov sera pourtant victime de la Grande Terreur et des purges en 1938. Libéré et amputé de nombreuses phalanges suite à une tempête en altitude, il reprendra le chemin des cimes et reviendra au plus haut niveau. Son frère Evgueni sera lui retrouvé mort en 1948. Il préparait une ascension à l’Everest.

Russophone et familier de l’Eurasie, Cédric Gras a enquêté, des archives du KGB au pic Lénine, pour reconstituer le destin exceptionnel et dramatique de ces deux frères indissociables puis désunis, mais qui ont traversé le siècle rouge en rêvant de conquérir l’Everest au nom de l’URSS.

Le 5 décembre 2020, Cédric Gras a reçu le Prix du Livre Albert-Londres pour Alpinistes de Staline (éditions Stock).

Un rédacteur en chef avait reproché à Albert Londres d’avoir introduit le microbe de la littérature dans le journalisme. C’est avec le même compliment que le jury attribue son prix 2020 à Cédric Gras (38 ans), russophone, qui a enquêté des archives du KGB au sommet du Pic Lénine sur le destin des frères Abalakov. Ils étaient certes de célèbres alpinistes russes, mais la mise à jour de la suite de leur histoire, comme victimes de la terreur stalinienne, est une première.

https://www.scam.fr/PrixAlbertLondres/Actualit%C3%A9s/Article/ArticleId/6731/Prix-Albert-Londres-2020

LIEN VERS LE DESCRIPTIF

http://www.olizane.ch

Sous la plume sensible d’un véritable écrivain, voici les explorations et la vie de Vitus Bering (1681-1741), ce Danois qui, pour le compte de la cour de Russie, explora et cartographia l’extrême-orient russe, avant de s’enquérir des côtes de l’Amérique. Il quitta Saint-Pétersbourg et parcourut ainsi deux allers-retours par voie terrestre (pour un marin !) à travers la Sibérie et l’extrême-orient. Mer d’Okhotsk, Magadan, fleuve Kolyma, Kamtchatka, c’était avant le goulag, mais tout aussi atroce « Bering indiqua qu’il n’avait pas de vocabulaire pour décrire l’extrême difficulté de leur route » (p. 69).

L’auteur est très documenté et pourtant son récit n’est en rien factuel, bien au contraire, c’est un ouvrage d’immersion, une description toute impressionniste. On suit Bering dans sa vie de famille, ses sentiments et l’on danse avec lui sur des vagues trop hautes pour être supportables.

Ph. Martin

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EVEREST 1952. UN JOURNAL OUBLIÉ

RECENSION DE R. VILLEMIN SUR LE CARNET DE ROUTE DE RENÉ AUBERT